Vendredi et samedi :
Le moral de Raphaël touche les abîmes. Il ne parle plus que pour dire son désaccord. Il est mal psychologiquement au plus haut point. Il commence à refouler le personnel médical, de manière désagréable. Il cherche le conflit physique avec son père et moi.
Il n’en peut plus et par la même occasion nous non plus.
Les globules blancs sont au top. Son érythème fessier est toujours très laid mais s’améliore.
La douleur psychique et physique le mette à bout. Raphaël croit qu’il ne sortira jamais de la bulle. Vendredi midi, la grande ponte me confirme sa sortie du flux pour lundi.
Je m’empresse de le dire à mon crapaud. Il ne me croit pas et pense à un mensonge.
Il se replie physiquement sur lui-même. Il se met en position fœtale. Quelque chose est en train de se casser…

Dimanche :
Je suis au bord du rouleau. Je suis épuisée. Voilà 3 semaines complètes que je cours non stop.
Ruben me fait comprendre que cette journée est pour nous. Il fait un ramdam dans mon ventre, qui m’est douloureux.
Je laisse ma place pour l’hôpital à Fio. Je décide de me reposer une partie de la journée et d’y aller en fin d’après midi. Malgré la culpabilité, finalement, je n’y vais pas du tout. Me taper 1h30 de route, pour me faire frapper ne m’intéresse pas. Moi aussi, je suis las. J’ai peur d’avoir perdu mon petit garçon. Que cette violence ne parte jamais. Raphaël restera-t-il dans ce mutisme pour toujours? Sa mucite est descendue dans son œsophage. Il souffre toujours.
En plus, la semaine prochaine, je serai seule avec lui, du fait des horaires de travail, de Fio. Cela me rend anxieuse.
Fio m’avoue que Raphaël l’a mordu à plusieurs reprises, aujourd’hui. Raphaël ne mange plus ni ne boit, sauf peut être de la carne? ;)
Sa morphine a été descendue. Son mutisme est persistant.

Lundi. Début de la 4ème semaine d’hospitalisation et dernier jour de flux.
J’arrive dans le service. Avant de m’habiller pour rentrer dans le flux, je vais à la rencontre des médecins. Toute sourire, l’interne (future titulaire du service) m’accorde le droit de rentrer en civil dans la bulle.
Tout est bien terminé.
Le flux va être démonté dans la journée. Raphaël va être changé de chambre. Une chambre lambda. Une chambre double. Je suis sur un petit nuage, totalement transportée de joie. Les oncologues ne l’ont pas encore examiné. En effet, à 11h, crapaud dort toujours.
Je rentre dans le sas, avec mon sac à main, mon sac de courses, mon manteau et mon écharpe. Je regarde, par la lucarne, mon bébé qui dort. Il est toujours dans sa bulle. Je culpabilise d’être dans cette tenue. Je ne réalise pas. J’ai peur d’avoir tout compris de travers. Mon Dieu…non, je ne risque plus de mettre en danger de mort mon crapaud, à cause d’une germe ou d’un virus. Cette crainte va se dissiper. Je vais pouvoir embrasser mon fils, le prendre dans mes bras, redevenir sa maman. Emprise d’une culpabilité indéfinissable, je pars ranger mon sac de course, dans mon vestiaire. Comme si en faisant cela, je pouvais le sauver de quelques bactéries, au cas où, j’ai tout compris de travers…J’ai le temps de me résonner, face à toute cette angoisse complètement irraisonnée. A mon retour, il est toujours dans la même position. Les habitudes restent : Avant de rentrer dans sa chambre, je me désinfecte les mains.
A mon entrée, Raphaël se retourne. Il ne dormait pas. Il était juste dans cette position fœtale qu’il ne quitte plus depuis plusieurs jours. Il me regarde les yeux ronds. Il est totalement ébahi et estomaqué de me voir ainsi : sans ma tenue stérilisée, ni charlotte, ni masque. L’émotion dans la voix, je lui dis que c’est fini, qu’il n’y a plus de bulle. Je rentre alors dans la bulle, sans désinfection de mains et sans mettre de casaque. Il est encore complètement sidéré et son regard en dit long sur son étonnement. Il ne peut faire autrement que de me faire confiance, mais il doit se croire rêver. C’est alors que je lui demande si on se le fait ce gros bisou. Il m’entoure alors le cou de ses petits bras et je m’assieds sur son lit pour l’embrasser. Je viens de braver toutes les interdictions en moins de 5 minutes. Mon fils, empli d’émotion, me touche les cheveux et mes lèvres. Avec son petit index, il contourne les traits de mon visage. Un début de fusion se fait. Raphaël ne dit toujours pas mot. Je n’ai pas le temps de me faire emporter par l’émotion. Les médecins arrivent. Ils auscultent crapaud et m’explique qu’il y aura encore 1 semaine d’hospitalisation pour surveiller son foie, qui peut souffrir du fait de sa greffe. Ils veulent aussi voir l’évolution de sa réaction épidermique. Ils attendent également qu’il se réalimente et s’hydrate seul. Beaucoup d’objectifs à réaliser, en une semaine. Assis sur son lit, ils lui annoncent la fin de l’isolement dans le flux et qu’il va être amené dans une chambre normale. Médusé et silencieux, crapaud les écoute lui annoncer cette nouvelle. Avant de se retirer, ils enlèvent une partie des bâches du flux. Raphaël tombe des nues en les voyant s’activer autour de lui, pour le sortir de cette prison de plastique.
Les médecins nous laissent de nouveau seul, avant qu’il ne soit transféré de chambre.
Je demande alors à crapaud de venir dans mes bras. Je l’envahis de baisers. Je le renifle. Raphaël, lui, continue de me caresser la chevelure. Il n’y a plus que nous deux sur cette planète où le temps s’est arrêté.
Bouleversée, je suis en larmes. Lui, le regard apathique, sans cils, reprends ses caresses sur mon visage. Ce moment me restera gravé en mémoire. Son intensité était aussi importante et émouvante que celui de sa naissance. Cette fois-ci, j’ai vu mon fils naître et lui aussi…
Ruben profite de ce moment pour se manifester. Je demande à Raphaël s’il veut sentir son petit frère bouger, dans mon ventre. Il met sa main et sent pour la 1ère fois, le bébé se mouvoir. Un léger sourire s’esquisse. Mon Dieu que je vous aime…
Je le prends alors dans les bras. Je l’emmène en dehors des frontières de la bulle et le fais regarder par la fenêtre. Emerveillé, il glisse ses 1ers mots : « Regarde les voitures… Elle roule et s’en vont… »

Quelques secondes plus tard, l’infirmière entre dans la chambre, avec son masque et sa charlotte. Je lui dis que c’est fini, plus besoin de cet appareillage. Raphaël confirme du regard. Elle le sait mais a encore des soins à lui prodiguer sur son port-a-cath. Nous réalisons alors que crapaud ne la connait que dans cet accoutrement. Elle lui fait sa prise de sang et se découvre de tout son apparat. Raphaël la regarde subjugué. On voit tout son ébahissement, au fur et à mesure de cette découverte. Nous rions de sa tête ébahie. C’est alors que l’aide-puéricultrice arrive pour dire que sa nouvelle chambre l’attend. Raphaël ne veut pas partir dans mes bras. Il veut que ce soit elle qui l’emmène. Il veut l’aval médical pour sortir de cette chambre, qu’il n’a pas quitté depuis 3 semaines. Le parcours du couloir jusqu’à son nouveau lieu de résidence est rempli d’émotions, de joie, de bonheur, d’enchantement…
L’emprisonnement est fini.
Les visites sont autorisées. Beaucoup d’exaltation à revoir des proches que mon crapaud n’avait pas vus depuis tout ce temps. Quelques larmes mais surtout quelques sourires qui lui apparaissent sur le visage, chaque jour un peu plus.
Nous sommes devenus ultra fusionnels. Chaque jour, je me blottis dans son lit, contre lui. Nous n’avons pas besoin de nous parler. Un regard suffit. Crapaud râle car mon bidon devient trop gros pour se faire câliner... :)
Tous les médicaments ont été retirés petit à petit, durant toute la semaine. Il mange depuis 2/3 jours, de plus en plus, chaque jour. Résultat : demain, début de la 5ème semaine d’hospitalisation, Raphaël rentrera enfin à la maison.♥

Autre fait important : Echo morpho mardi 24/04. Ruben pèse 599 grammes et papa a eu la joie de constater son anatomie masculine. Raphaël lui est heureux d’avoir vu la photo de son frère dans le bidon de Maman.♥